Thomas Lilti spricht im Interview über einen Berufsstand, der sich mit der Gewalt der Gesellschaft konfrontiert sieht, aber auch mit den eigenen Widersprüchen, Unmöglichkeiten, mit Ohnmacht und mit Gegenströmungen, die viele Pädagog:innen in ihrer Aufgabe scheitern lassen. (Interview in französischer Sprache)
UN MÉTIER SÉRIEUX | Interview Thomas Lilti
- Publiziert am 30. Januar 2024
«In meiner Familie gibt es viele Lehrpersonen, darunter meine Mutter, die Französischlehrerin war. Ich bewunderte den damit verbundenen Einsatz.»
UN MÉTIER SÉRIEUX | Synopsis
Benjamin ist jung und hat noch kaum Berufserfahrung. Zu Beginn des neuen Schuljahrs tritt er an einem Collège eine Stelle als Mathelehrer an. Das Unterrichten geht ihm anfangs alles andere als leicht von der Hand, die Schüler:innen fordern ihn ganz schön heraus. Doch das engagierte Lehrerteam und der Zusammenhalt, den Benjamin an der Schule erlebt, inspirieren ihn – und mit seiner Kompetenz als Lehrkraft wächst auch seine Leidenschaft für den Beruf…
UN MÉTIER SÉRIEUX | Interview
Jusque-là, quasi tous vos films et série évoquaient la médecine. Aviez-vous le sentiment d’avoir fait le tour ?
Avec HIPPOCRATE, MÉDECIN DE CAMPAGNE et PREMIÈRE ANNÉE, une forme de trilogie s’est imposée, presque malgré moi. Alors même si la série HIPPOCRATE dont je viens d’achever le tournage de la 1ère partie de la troisième saison, m’a pas mal accaparé, je savais que mon retour au cinéma se ferait autour d’un autre univers que la médecine.
UN MÉTIER SÉRIEUX, film de groupe, narrativement un peu éclaté, ressemble à mes précédents longs métrages car j’aborde une fois encore la fiction par le réel. Mais aussi et surtout par ma volonté de continuer à interroger la question de l’engagement à travers un métier.
L’engagement des soignants a été au cœur de mon travail depuis plus de dix ans, j’ai voulu m’intéresser aux enseignants. Comment trouver du sens dans l’exercice d’une profession de plus en plus décriée, paupérisée, déclassée ? Raconter la vie d’un groupe de professeurs dans un collège s’est alors imposé à moi avec le désir de les observer pour mieux comprendre ce qui fait le sel de leur profession. Où puisent-ils leur motivation à enseigner dans cette adversité, dans une institution fragilisée ? Quels élèves ont-ils été ? Quels parents sont-ils devenus ? Qu’en est-il de leur vocation ? Si enseigner n’est pas soigner et s’il n’y a pas d’enjeu de vie ou de mort, les enseignants sont néanmoins garants d’une mission universelle : la transmission du savoir. Cette responsabilité, pourtant noble et grande, est aujourd’hui trop peu considérée. Dans un monde de rentabilité, le savoir ne se vend pas, il se partage. C’est le socle d’une société. C’est l’idée la plus belle qui soit, on ne peut pas être dépossédé d’un savoir.
UN MÉTIER SÉRIEUX est porté par ce constat et l’envie de faire un portrait réaliste de femmes et d’hommes qui nous accompagnent depuis notre enfance.Paradoxalement, des femmes et des hommes qui, pour nombre d’entre eux, n’ont jamais quitté l’école.
L’histoire d’UN MÉTIER SÉRIEUX était-elle motivée par l’envie de réhabiliter les professeurs ?
J’ai dans ma famille de nombreux enseignants, dont ma mère qui était professeure de français, et j’admirais l’investissement que cela représentait. Au-delà de son engagement, j’ai pu sentir ce que l’école était pour elle, comme pour beaucoup de femmes au cœur des années 80, un lieu d’émancipation. L’idée n’est pas de dire que les profs sont des héros mais qu’il faut prendre soin d’eux et que l’Éducation Nationale est un bien précieux. Je voulais montrer au sein de cette grosse machine des hommes et des femmes dont le désir d’être prof révèle un goût de l’autre, une conscience de la collectivité, de l’importance de l’école pour nourrir le lien social et transmettre des valeurs. Aujourd’hui, mes personnages ne font pas exception à la règle : comme dans tous les métiers d’intérêt général, ils sont confrontés à des dysfonctionnements, à la violence de la société, mais aussi à leurs propres contradictions, impossibilités, impuissance ou à des courants contraires qui les amène à échouer dans leur tâche.
Dans UN MÉTIER SÉRIEUX, on ressent une attention particulière à rendre le monde scolaire et la vie d’un collège les plus réalistes possible. Comment vous y êtes-vous pris ?
L’attention portée à reproduire le réel est un élément essentiel de mon travail. J’ai besoin d’appréhender au mieux un univers afin de me sentir légitime à le raconter et à y insuffler une dimension romanesque. Cette confrontation du réel et du romanesque est la clé de voute de mon approche de metteur en scène. Cela m’a demandé – encore plus que pour mes films précédents – un énorme travail préparatoire de documentation. Avant d’écrire la première ligne de scénario, je m’efforce de lire et de voir le maximum de documents sur le sujet, essentiellement des témoignages. Je regarde des émissions de télévision, des journaux télévisées, des magazines de société mais je lis aussi des blogs, des revues, des essais de sociologie… progressivement je m’immerge dans le sujet. En revanche, je ne m’inspire jamais d’œuvres de fiction. Ce long travail préparatoire me permet d’entrevoir progressivement mon terrain de jeu comme si je l’avais connu moi-même. C’est seulement à partir de cet instant que les personnages peuvent naître. Ils sont en général un mélange plus ou moins savant entre ce que je suis, l’acteur ou l’actrice auxquels je pense et des personnages aperçus au cours de mon travail de documentation. Je pense que le réalisme surgit de cette fusion approximative.
Et le travail sur le plateau va dans ce sens également : laisser la place aux personnages pour se déployer, ne pas se limiter aux séquences écrites, inventer sans cesse de nouveaux dialogues, permettre à la vie d’envahir progressivement les interstices. Tourner beaucoup et remettre en question le scénario de façon permanente.
Il y a aussi le fait de tourner avec des collégiens, s’appuyer sur leur expérience d’élèves est un atout à ne pas négliger. Et puis, durant les deux années de fabrication, mes antennes étaient particulièrement sensibles lorsque j’étais convoqué comme tout parent à une réunion de rentrée ou parfois dans le bureau du CPE.
Et enfin, je pense pouvoir dire aujourd’hui que mon métier de médecin a influencé mon regard sur les choses. Il a développé un sens de l’observation particulier. Je crois sincèrement que je filme comme un médecin. J’observe, je m’arrête sur les détails, j’analyse, je diagnostique… Mes personnages sont devenus mes patients.
Le choix du décor principal a-t-il eu une importance particulière ?
Je voulais absolument ancrer mon film dans un collège « normal ». Un collège qu’on ne voit presque plus à la télévision : un collège comme il en existe pourtant des centaines, un collège avec une population mélangée socialement, ce que j’appellerai un collège de la classe moyenne. Mon collège de fiction n’est ni un collège difficile ni un collège d’élite. Je ne voulais pas faire d’UN MÉTIER SÉRIEUX un film sur une méthode pédagogique particulière mais bel et bien un film sur le métier d’enseignant. Me projeter dans ce collège où l’on peut tous s’identifier, c’est toucher à une forme d’universalité. UN MÉTIER SÉRIEUX n’est pas un film sur le « faire » mais un film sur le «être». Et pour répondre plus concrètement, tourner dans un collège en période scolaire est très compliqué. J’ai donc recréé un collège en réunissant trois lieux différents. Les extérieurs dans un collège à Meudon, les classes dans un collège désaffecté de Vitry-sur- Seine et enfin la salle des profs et l’administration dans un collège à Pantin.
Le générique de début rassemble des images d’archives. Pourquoi ce choix ?
L’école reste au cœur de nos vies que l’on soit enfant, adultes, parents, au fil des générations.
Chacun y trouve une madeleine de Proust nous rappelant combien l’école est au centre de nos vies. Ces quelques images illustrent aussi l’évolution de la position sociale de l’enseignant dans l’école. Plus verticale il y a 50 ans, plus horizontale aujourd’hui. Pourtant deux choses sont immuables : les élèves, ce sont des individus en formation, pour lesquels l’école est au centre de la vie, et l’engagement des enseignants, dont les missions sont toujours la transmission du savoir et l’apprentissage de la vie en groupe.
Quel était votre rapport aux études, à vos professeurs ?
Personnellement, je ne garde pas un souvenir heureux de mes études et j’ai longtemps eu un rapport contrarié à la transmission, telle qu’elle me semblait imposée à l’école. Mais c’était pour moi un lieu de socialisation qui m’a permis de m’épanouir en dehors du foyer familial. Et puis, il y a eu à plusieurs étapes de ma scolarité, la rencontre avec des professeurs importants, qui ont su me donner goût à leur matière ou qui m’ont éclairé d’une manière ou d’une autre sur la vie. Je pense que chacun de nous se souvient du nom d’un enseignant qui l’a marqué. À mes yeux, l’école est le lieu de rencontres individuelles et d’émulations collectives qui nous font grandir. Dans cette école, j’ai toujours été intéressé par l’Adulte au milieu de tous ces enfants. Quelle était sa vie ? Avait-il lui-même des enfants ? Avait-il des joies et des peines ? S’entendait-il bien avec ses collègues ? Que pensait-il de nous ? Je crois que ce film découle de mon envie de répondre à ces questions.
L’éducation implique naturellement la question de la légitimité qui revient aussi régulièrement dans vos films.
La question qui traverse les personnages du film, c’est : suis-je un bon prof ? Chaque personnage se questionne à un moment ou un autre du film sur ses qualités, ses compétences, ses actes. Lorsque le personnage qu’interprète Vincent Lacoste se retrouve en conflit avec un élève, il ne peut éviter de faire son propre examen de conscience. Cette remise en question est nécessairement douloureuse. Mais c’est sans aucun doute l’apanage des bons profs. Enseigner est un métier profondément confrontant. Chaque jour, l’enseignant se retrouve seul face à sa classe. Ce qui m’intéresse est moins de savoir si le professeur est légitime à enseigner que la manière dont résonnent intimement les attaques permanentes. Mon sentiment est que leur salut passe par le groupe. Seul moyen pour surmonter les épreuves.
Mais, d’une certaine manière, ils forment eux aussi une bande de gosses…
Oui car il y a cette idée que lorsqu’on est prof, on n’a jamais quitté l’école. Je voulais garder cette dimension enfantine pour montrer que le prof n’est finalement que le prolongement de l’élève. J’étais porté par l’envie d’aborder le thème du collectif comme un instinct de survie et la seule façon de surmonter la difficulté, voire la violence de cette aventure professionnelle. Puis c’est aussi le moyen pour les personnages de trouver de la joie et du réconfort. Je voulais montrer que ce lien allait au-delà de la solidarité, ces profs sont des gens qui veillent les uns sur les autres avec bienveillance. D’une certaine manière, il y a beaucoup de points communs entre la communauté des profs et celle des élèves.
En ouvrant la porte de la salle des profs, l’idée de ce film était-elle aussi de nous faire pénétrer un monde interdit ?
C’était en effet l’un de mes plaisirs car j’ai toujours été fasciné par la salle des profs. Quand j’étais gamin et que ma mère m’en parlait, ça piquait ma curiosité. Étaient- ils en coulisse comme nous les percevions en classe ? Le prof sévère devenait-il soudainement décontracté ? Y avait-il des amitiés ? Des histoires d’amour ? Des rivalités ? En tant qu’élève, on ne connaît rien de la vie intime de nos professeurs. On ignore jusqu’à leur prénom. Peut-être que c’est cette curiosité qui m’a poussé à faire ce film. D’ailleurs, ma toute première idée était de parler des enseignants d’un collège sans jamais montrer les élèves mais c’était trop théorique. J’ai vite compris qu’on ne pouvait pas accéder à l’intimité de nos professeurs en faisant abstraction de l’essentiel de leur métier : le lien à leur classe, à leurs élèves.
En dénonçant, à travers des histoires de femmes et d’hommes, les défaillances du système de santé ou de l’école, avez-vous le sentiment d’appartenir au registre de la comédie sociale ?
Je ne me pose pas vraiment la question. Je fais des films avec des personnages qui m’inspirent. J’imagine que des liens thématiques peuvent se tisser d’un film à l’autre mais ce n’est jamais la motivation première. Beaucoup de choses m’échappent. Je crois sincèrement que l’on fait les films que l’on peut et qu’ils s’imposent à nous. Avec le recul, je perçois que mes films, en cherchant à décrire le monde d’aujourd’hui avec réalisme, ont une dimension sociale, mais ils ne sont pas militants pour autant et ne répondent pas, je crois, aux codes attendus de la comédie sociale. Je ne me suis pas non plus inscrit dans le drame, j’ai toujours la volonté d’amener mes personnages vers un peu de lumière. UN MÉTIER SÉRIEUX assume sa dimension « chronique »… Quoiqu’il en soit, ce sont toujours les personnages qui font le film. Ce sont eux qui font l’histoire. Je m’attache à leur créer un espace pour exister.
Vous avez rappelé au casting nombreux acteurs que vous avez déjà fait tourner. Pourquoi ce choix ?
J’aime l’idée de faire des films « en famille ». Savoir que j’allais retrouver François Cluzet, Vincent Lacoste ou William Lebghil était une grande joie. C’est comme revoir des amis proches dont on n’a pas eu de nouvelles depuis quelques temps. Cette simple pensée était source de stimulation et d’inspiration lors de l’écriture du script. En les connaissant si bien, cela me permet aussi de mettre beaucoup d’eux dans mes personnages. Mais il y a aussi de très nombreux comédiens qui font partie de « ma » famille et que l’on retrouve dans chacun de mes films ou dans la série. Ils sont souvent des personnages secondaires mais ils sont des compagnons de route fidèles. Je pense à Sylvie Lachat, Théo Navarro, Mustapha Abourachid, Michael Perez, Christophe Ntakabanyura, Josée Laprun, Géraldine Schitter, Hubert Myon… D’un film à l’autre, on les retrouve et ils participent grandement à l’atmosphère de mes films. Mais c’est aussi toute une équipe de techniciens que je retrouve film après film et qui participe à donner le sentiment de travailler en famille. Ce climat bienveillant est important pour moi. Et puis, plus rationnellement, je trouvais qu’il y avait une cohérence dans le fait de réunir mon jeune interne d’HIPPOCRATE, mon MÉDECIN DE CAMPAGNE et mes étudiants de PREMIÈRE ANNÉE dans une nouvelle histoire. J’avais à cœur ainsi de former un groupe intergénérationnel car cela amenait une dimension universelle au métier. Je voulais montrer que les problématiques d’un prof de 60 ans sont plus proches de celles d’un prof de 25 ans que de celles d’un sexagénaire qui exercerait un autre métier.
Qu’aimez-vous particulièrement chez chacun de vos acteurs ?
Après trois longs métrages, Vincent Lacoste et moi nous portons une affection et une confiance réciproques. Cela est précieux car nous avons grandi ensemble. J’aime chez lui, en tant qu’acteur, qu’il apporte à ses personnages une candeur inaltérable, un rythme singulier, et bien qu’il soit très investi dans son métier, il sait aussi garder une petite distance. Et si je lui confie souvent le rôle de Benjamin dans mes films, c’est parce qu’il représente un peu mon double de fiction. Notre complicité me permet de prendre plus de risques et de me sentir plus à l’aise. On peut aussi rire de nous-mêmes, de nos obsessions, de nos tics. Vincent a su insuffler une maturité inattendue à son personnage. Sous des dehors d’adolescent malhabile, Benjamin fait preuve d’un grand esprit de sérieux dans sa façon d’embrasser son nouveau métier. Face au conflit avec Enzo, il réussit à se remettre en question. Cette nouvelle déclinaison de mon personnage de Benjamin Barois est une version plus adulte. Et cette mue doit beaucoup à Vincent. Il n’est plus le petit interne pleutre et dépassé d’HIPPOCRATE. Vincent a mûri et ses personnages avec. C’est une grande chance pour moi de pouvoir observer un acteur atteindre un tel accomplissement. Avec François Cluzet aussi s’est créée une véritable amitié. Avant lui, je n’avais jamais rencontré d’acteur qui avait autant de plaisir à jouer avec ses partenaires. C’est fou comme il est dans le partage. Il apporte toute son humanité à son personnage et au groupe. Et à moi, il me donne ce supplément de confiance dont tout metteur en scène a besoin. Toujours une parole encourageante. À la fois exigeant et disponible. Et puis, il y a ce tourment intérieur, cette intensité, cette colère prête à jaillir qui fait vibrer ses personnages. Grâce à François, Pierre porte en lui une remise en question permanente, le sentiment qu’il aurait pu être un autre prof mais aussi que son temps est révolu. Il y a de l’usure, de la solitude et de la fatigue dans son personnage mais aussi beaucoup de bienveillance. Pierre veille sur les autres profs. Ils sont sa famille. Louise Bourgoin interprète dans la série HIPPOCRATE un personnage assez rigide, qui crée difficilement du lien. Je trouvais intéressant d’utiliser cette forme de distance et de pas de côté dans son rapport au monde et aux autres pour lui faire jouer le rôle d’une prof qui justement échoue à nouer des relations avec ses élèves malgré sa volonté de bien faire et son investissement. Elle incarne ainsi une prof incapable de transmettre, une prof à bout de course. Quant à William Lebghil, je voulais m’appuyer sur la nonchalance qu’il peut apporter aux personnages pour l’emmener ailleurs, vers une forme de fatigue morale. Or ce que j’aime chez William, c’est qu’il a un rapport aux choses qui lui permet d’incarner tout au premier degré et de transmettre de la tendresse. En prenant son personnage au sérieux, il l’a développé pour en faire quelque chose de plus grand que ce qui transparaissait dans le scénario. Et puis, comme William est très proche de Vincent, je savais que l’alchimie fonctionnerait entre eux. Ils n’auront pas à jouer l’amitié pour qu’elle transparaisse. Et pour finir, il y a ce petit plaisir coupable à lui faire interpréter un prof d’anglais alors même qu’il le parle assez mal. Enfin, Bouli Lanners est venu amicalement jouer le rôle du père de Vincent Lacoste. Il a accepté sans même lire le scénario. Héros de la saison 2 d’HIPPOCRATE, ce fut une rencontre professionnelle et amicale très forte. Sa générosité est totale. Une seule séquence mais ô combien importante pour moi. Il incarne à lui seul toute la violence méprisante de la société à l’égard des enseignants. Bouli peut tout incarner. Il est toujours à mes yeux une évidence.
Adèle Exarchopoulos fait son entrée dans la bande. Qu’aimez-vous chez elle ?
Quelle grande actrice et quelle formidable partenaire. Tout semble facile avec elle. Je ne la connaissais pas personnellement. Pour le coup, avec elle, je n’étais plus en terrain connu. En lui proposant ce rôle, ce qui m’a paru particulièrement intéressant, c’est de construire un personnage de Meriem qui est dans le travail, pas dans la séduction, une enseignante qui a un rapport très concret aux choses. Elle est à la bonne distance avec les élèves. Elle met du cadre, les aime, les protège. Cette autorité naturelle mêlée d’affection sincère, Adèle la porte en elle. Elle est tout à la fois, équilibrée, fragile, forte… Comme Meriem, Adèle est un esprit brillant, une fille extrêmement vive, rapide et instinctive mais paradoxalement, elle n’est pas scolaire. C’est ce qui rend sa présence à l’écran tellement évidente. Adèle est le contraire de la première de la classe et à travers elle, je voulais montrer que les profs ne sont pas forcément d’anciens bons élèves.
Comment avez-vous appréhendé votre travail de mise en scène sur ce film ?
Pour UN MÉTIER SÉRIEUX, j’ai voulu donner le plus de place possible aux acteurs. Toute ma méthode de travail tourne autour de cet objectif. De film en film, cette obsession m’a amené à tourner de plus en plus. Des prises de plus en plus longues sans que les caméras ne coupent. Il y en a toujours deux. Et je me débrouille pour que tous les acteurs puissent être filmés à tout moment. Mon but est que l’on finisse par oublier le dispositif malgré la lourdeur d’une équipe de cinéma. Le plateau doit demeurer un terrain de jeu pour les acteurs. Je me souviens de la séquence du conseil de discipline que je devais tourner en plusieurs petits morceaux mais que j’ai finalement réalisé en une seule et grande séquence comme s’il s’agissait d’un véritable conseil de discipline. Je lançais l’action pour couper 40 minutes plus tard. C’était éprouvant pour les acteurs et les équipes qui évoluaient sans filet et c’était surtout un enfer physiquement pour les perchmans.
Vous voulez nous parler un peu du montage, de la musique ?
J’ai beaucoup aimé dans mon travail sur la série HIPPOCRATE, travailler avec plusieurs monteurs. C’est pour cela que j’ai voulu reproduire l’expérience. Les deux monteurs de la série m’ont rejoint sur le film. J’aime une fois encore l’échange qui s’opère quand on est plusieurs. L’émulation permanente. Je ne suis pas un grand adepte du travail long et solitaire de la salle de montage. Cela peut vite être mortifère. J’aime le travail en équipe. Et j’aime retrouver cette énergie dans la salle de montage. La fierté d’avoir réussi à plusieurs compte beaucoup pour moi. Quant à la musique, je suis passé par de nombreuses étapes différentes. J’ai même envisagé un temps l’absence totale de musique. Progressivement, j’ai ramené des titres existants qui sont finalement quasiment tous restés. Et Jonathan Morali, avec qui je travaille pour la première fois, a composé plusieurs morceaux qui créent une unité bien singulière à l’ensemble de la bande son. Pour finir, j’ai mis du temps à trouver un morceau pour la fin du film. Puis j’ai repensé à une reprise du Temps du muguet qu’avait concocté le musicien Sylvain Ohrel pour PREMIÈRE ANNÉE. Cette chanson était chantée par Vincent et William dans le film mais la scène avait été coupé au montage. Soudainement, elle m’a semblé prendre tout son sens dans UN MÉTIER SÉRIEUX.
Interviewquelle: Presseheft Filmcoopi