Philippe Lioret nous embarque dans cette histoire d’amour entre deux jeunes lycéens dont les familles se déchirent. Ondine Perier a rencontré le cinéaste avant la présentation de son film en avant-première à Genève. Il nous livre les secrets de fabrication de son film et sa vison du cinéma et de la jeunesse d’aujourd’hui. Extraits de leur conversation.
«Toutes ces haines larvées sont stupides, ça part souvent de rien pour arriver à une issue dramatique.»
«16 ans» de Philippe Lioret est un Roméo et Juliette des temps modernes, une histoire haletante, maîtrisée de bout en bout.
Philippe Lioret présente «16 ans», une histoire d’amour chahutée entre deux jeunes gens issus de milieux opposés dont les familles vont tout faire pour les séparer. Trois formidables jeunes acteurs pas ou peu connus : Sabrina Levoye, Teïlo Azaïs et Nassim Si Ahmed interprètent le couple d’amoureux Nora et Léo et le frère antagoniste Tarek avec un talent fou. «16 ans» est le neuvième long-métrage de Philippe Lioret, il a notamment réalisé précédemment «Je vais bien, ne t’en fais pas» en 2006, «Welcome» en 2009, «Toutes nos envies» en 2011 et «Le Fils de Jean» en 2016.
D’où vous est venu l’inspiration de raconter cette magnifique histoire tellement maîtrisée et haletante, jamais attendue ?
Il y a des années, quand j’ai tourné «Je vais bien, ne t’en fais pas», des scènes se passaient dans un lycée. Et le soir, je passais devant un abribus où il y avait un jeune couple qui se serrait fort dans les bras et qui pleurait tout le temps. Un des profs du lycée m’a dit il y avait un problème dans les familles, on ne sait pas pourquoi mais ils n’ont pas le droit de se fréquenter, et donc depuis, ils attendent ensemble le bus et dès que le bus arrive, elle rentre chez elle. Je suis repartie avec cette anecdote en tête et puis j’ai laissé le temps passer. Et ça m’est revenu bêtement, comme ça, en pleine tête. Je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire. Chez Shakespeare, il n’a jamais été expliqué pourquoi les Capulet et les Montaigu ne pouvaient pas s’encadrer. J’ai commencé en partant d’éléments connus, à remettre tout ça dans l’ordre et à me raconter une histoire. Mais je me suis dit qu’on l’avait certainement déjà racontée, que ce n’était pas possible que cette histoire n’existe pas. Un jour, je raconte ça à un copain ultra cinéphile qui connaît tout le cinéma coréen, roumain, islandais. Il écoute et me dit «ça n’a jamais été fait», ou alors il y a 30 ans avec «West Side Story» mais ça n’a rien à voir et c’est beaucoup moins bien que ce que tu viens de me raconter scénaristiquement et on a vérifié ; à partir de ce moment-là je me suis dis que je devais la raconter cette histoire et mettre en haut de l’affiche ces deux jeunes-là.
L’escalade dans les événements se fait de manière admirable et très fine, le travail d’écriture a t il été long pour ce scénario et vous êtes vous entouré de coscénaristes ?
Non j’ai écrit le scénario seul. Moi, mon idée, c’est qu’au bout de cinq minutes, le spectateur soit dans l’écran. C’est la grande force du cinéma, c’est la plus grosse machine à émouvoir et à s’identifier qui existe bien plus que la littérature. La littérature, elle gagne sur tous les tableaux, sauf sur celui là, il faut en profiter. Je voulais vraiment que le spectateur soit dedans. Avec la tension du récit et l’intensité des personnages, on peut arriver à faire en sorte que le spectateur ne lâche jamais.
Même pour l’écriture des dialogues entre les deux ados qui sonnent si justes ?
Alors là, je me suis toujours dit que je n’allais pas y arriver. J’ai plus de 65 ans et je pensais que je ne pouvais pas habiter la peau d’un garçon et d’une fille de 16 ans. Et en fait c’est la voix du cœur qui compte. C’est se dire «Tiens, qu’est ce qui se passait dans ma vie, moi, quand j’avais seize ans ?» Evidemment que ça me bouleverse parce que c’était l’âge de tous les possibles pour moi. C’est là où tout à coup j’ai existé. J’ai rencontré une fille dont je suis tombé éperdument amoureux et ça ne m’a jamais quitté jusqu’à aujourd’hui. Je me suis dit que c’était suffisamment fort pour que je puisse habiter cette peau là. Et quand j’ai donné le scénario à Sabrina et Télïo et aux autres aussi pour les répétitions, pas une fois c’est venu sur le tapis de dire «mais on ne parle pas comme ça». Pour eux, c’était naturel. Comme quoi, ça ne sert à rien d’essayer d’aller faire des pirouettes du côté de la mode : la mode, c’est déjà démodé.
Le casting est exceptionnel, d’autant plus que ce sont des visages totalement nouveaux, comment avez-vous procédé ?
Nassim qui joue le frère avait fait déjà des films d’action. Teïlo avait fait aussi deux ou trois films, mais rien qui lui demandait une intensité pareille. Quant à Sabrina, elle a découvert la petite affichette à l’entrée d’un cours de théâtre en sortant du lycée qui, disait elle, cherchait une jeune fille de seize ans, elle n’avait jamais fait de théâtre de sa vie. Comme ces visages là étaient absolument nouveaux, il avait été hors de question de prendre des stars pour faire les parents puisque les deux héros du film c’était eux deux. Je voulais qu’il y ait une vertu documentaire dans tout ça, qu’on ait l’impression d’y être. On a répété le film en entier, elle, lui, Nessim, puis tous les acteurs du film, parce qu’ils se sont rendu compte qu’on était en train de travailler et qu’ils étaient en train de devenir formidables ces trois là et eux voulaient être à la hauteur. Et puis il y a plein d’acteurs non professionnels dans le film qui sont par exemple le PDG de la boite et le directeur des ressources humaines qui vire Jean-Pierre, le père de Léo. C’est vraiment un directeur général d’une très grosse boite et l’autre est vraiment DRH et ils sont venus parce que ça les amusait de se confronter à ça, encore une fois je leur demandais d’amener la part documentaire. Après ces deux mois de répétitions où toutes les scènes sont filmées avec une petite caméra, on était tous cuits comme si on avait tourné réellement le film. Puis après je suis allé préparer le film pendant deux mois et demi. Eux, ils sont rentrés chez eux et quand on est arrivés le jour du tournage, même si les acteurs n’avaient pas beaucoup d’expérience, ils sont arrivés relax. Ils savaient parfaitement ce qu’on avait à faire et comment, le plus dur était fait.
Lorsque le père de Nora explique à Léo les raisons qui l’ont poussé à interdire à sa fille de le fréquenter, on pourrait tomber à ce moment là dans l’empathie, était-ce une volonté de votre part ?
Le poids de la culture, c’est ça qui le rattrape. Parce que lui, ce type là, si son fils ne l’avait pas mis face à sa position de chef de famille oriental avec tout le poids de la culture de ses parents à lui, de son père à lui de son grand père. Mais jusqu’à maintenant que sa fille se balade avec un débardeur à fines bretelles, ça ne lui posait aucun problème, mais avec cette histoire, il est pris dans une espèce de responsabilité. Et c’est peut être la phrase la plus terrible du film quand il lui interdit de s’habiller en débardeur, tout ça à cause d’une foutue bouteille.
Quelle a été la plus grande complexité pendant le tournage ?
La dernière scène était la plus angoissante. On a tout fait en live avec des vrais gens, une vraie nuit, avec de vrais trains, et des vrais passagers dans le train. On a tourné le film dans une angoisse absolue. On ne pouvait pas se permettre plus de deux prises parce qu’après il n’y avait plus de train.
Quelle est votre vision de la jeunesse ? Combative et déterminée comme le sont Nora et Léo ?
Oui, c’est celle là qui me plaît, celle qui est capable de faire ça, celle qui est déterminée à ne pas se laisser faire, qui fait que les utopies doivent absolument se réaliser. C’est ça l’idée.
Je pense qu’effectivement comme vous disiez, seize ans, c’est vraiment l’âge des premiers émois forts où on se sent vivant.
En fait je pense que cet amour inconditionnel, on peut l’avoir déjà connu à onze, douze, treize, quatorze, quinze, mais à seize ans en règle générale, entre quinze et dix-sept lorsque c’est mélangé avec les phéromones, ça fait un truc explosif, que je trouve fascinant. Comme m’a dit cette femme avec les larmes aux yeux «J’ai eu seize ans pendant 1 h 30. Merci.» Et puis je sentais qu’elle ne me disait pas ça pour faire un numéro, elle avait réellement vécu ça.
Dans vos films vous faites souvent cohabiter des gens de milieux différents, ce « vivre ensemble » vous tient-il particulièrement à cœur ?
Bien sûr, et là, je pense que le film, il montre à quel point c’est idiot et imbécile de ne pas y arriver tellement à cause d’une connerie que tout ça arrive que franchement, alors on peut faire le reproche au film, que c’est la dernière toute dernière ultime scène, soit un peu pour asséner une vérité qu’on a déjà comprise et tout, mais j’y tiens. Je trouve que c’est important de mettre le spectateur face à cette idée ou comme dans un conte moral de dire toutes ces dissensions ou toutes ces haines larvées c’est stupide prace ue ça part de rien pour arriver à une issue dramatique.
Il y a souvent une dimension sociale dans vos films. Et est ce que ça vous plaît que si on vous dit le cinéma de Stéphane Brizé avec du romanesque ?
Oui ça me va, je trouve que Stéphane Brizé est un cinéaste majeur ; mais Stéphane veut être reconnu par ses pairs et aller au festival de Cannes ; moi j’ai plus envie de rencontrer les spectateurs et concernant ma part de romanesque, je ne suis pas prêt à m’en départir pour aller fouler le tapis rouge. Et sur le fait que le film lorgne du côté du social, c’est parce qu’on ne peut pas faire autrement que d’y passer quand on raconte ce type d’histoire. J’y suis déjà allé pas mal de fois avant Stéphane Brizé avec «Welcome» ; d’ailleurs Stéphane, après avoir vu «Welcome», m’a demandé s’il pouvait m’emprunter Vincent (Lindon, NDLR), donc ça avait déjà eu lieu.
Il se passe quelques années entre chacun de vos films, est-ce pour vous le temps nécessaire pour vous imprégner d’une histoire ?
Oui je sais qu’il faut que j’aille au rythme du film, ce n’est pas mon rythme à moi, c’est le film qui dicte. Et là il m’a fallu trois ans, et avec le Covid, quatre et demi.
Avez-vous déjà une idée du thème de votre prochain film ?
Probablement oui mais je ne le sais pas encore, j’ai besoin d’expulser celui là et c’est le 4 janvier que ça se fait.
Il y aussi l’inquiétude des salles vides. Parce qu’il y a un moment, c’est un tel engagement. Je fais tout, je produis, j’écris je cadre, je mixe, c’est mon ancien métier j’étais ingénieur du son mais ce qui est dur c’est que faire un film me prend plus de trois ans , mais ce n’est pas trois ans de 9 h à 18 h, c’est 3 ans, nuit et jour, tout le temps même quand on dort. Si c’est pour que le jour de la sortie les salles soient vides, ça peut faire perdre un peu ses moyens pour se relancer dans un nouveau projet, de retrouver le cœur à l’ouvrage. Je passe du temps sur mes films, je paye bien les gens avec qui je travaille, c’est moi qui produis, donc je paye bien. Donc voilà, mes films coûtent un peu cher.