Ondine Perier, rédactrice cinéma chez arttv, s’est entretenu avec la réalisatrice française Rebecca Zlotowski. L’entretien s’est déroulé à Zürich au lendemain de la présentation de son film très beau et sensible «Les enfants des autres» en avant-première au Zurich Film Festival. Il a été question de son rapport à la maternité et à la transmission mais aussi de Virginie Efira et de Claude Sautet.
«J'avais envie de déconstruire les stéréotypes des belle-mères de Disney.»
Rebecca Zlotowski | Biographie
Avant d’être réalisatrice, Rebecca Zlotowski suit une scolarité brillante ; elle intègre l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud et devient agrégée de Lettres Modernes, puis entre en 2003 à la Fémis, l’une des plus prestigieuses écoles de cinéma, dans la section scénario. Son premier long-métrage «Belle Épine», qui est aussi son film de fin d’études, est sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes et vaut à son actrice principale, Léa Seydoux, le César du Meilleur espoir féminin en 2011. En 2013, la réalisatrice retrouve Cannes et Léa Seydoux grâce à son nouveau film «Grand Central», sélectionné à Un Certain Regard. Pour son troisième film, Rebecca Zlotowski s’ouvre à l’international avec l’ambitieux «Planétarium», qui met en scène Natalie Portman et Lily-Rose Depp. Tourné en partie en langue anglaise, ce film d’époque reconstitue le Paris des années 30 pour aborder à la fois le cinéma et la montée du nazisme. En 2019, elle offre dans «Une fille facile» son premier vrai rôle à Zahia Dehar. Ce long-métrage solaire obtient le Prix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs. La même année, la réalisatrice s’essaie pour la première fois au format télévisé avec la mini-série politique «Les Sauvages», porté par Roschdy Zem. Elle retrouve ce dernier en 2022 pour son cinquième long-métrage et son plus personnel «Les Enfants des autres».
Comment vous est venu l’idée de ce film qui met en scène une femme qui s’attache à la fille de son compagnon tout en essayant elle-même d’avoir un enfant ?
Ce qui est curieux, c’est que ce film est d’abord né non pas d’un désir de portraits de femmes, mais d’un désir de portraits d’hommes. J’avais terminé la série « Les sauvages » avec Roschdy Zem, et le point de départ du film, c’était d’avoir envie de retravailler avec Roschdy. Il se trouve que, à ce moment là, on lisait le même roman de Romain Gary qui s’intitule « Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ». C’est un roman sur l’impuissance masculine qui s’applique à un homme d’un certain âge qui est amoureux d’une femme plus jeune, il fantasme sur le fait qu’il soit en train de perdre ses moyens sexuels et se revitalise en imaginant des scénarios érotiques. Je pars donc avec le livre à adapter et petit à petit, je me rends compte que ce n’est pas du tout ça que je veux faire, que la raison pour laquelle ça me touche, c’est parce que cela renvoie en moi une situation d’impuissance d’être une femme qui va avoir 40 ans sans enfant – qui vit avec un homme qui en a – qui elle-même en veut, mais qui n’est pas sûre d’y arriver. Et je comprends que le « Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » s’applique à ma situation.
Avez-vous pensé tout de suite à Virginie Efira pour incarner votre héroïne Rachel ?
Virginie est arrivée quasiment tout de suite sur le projet parce que dans le paysage français, on n’a pas mille options d’actrice de cette envergure. Là, c’était une l’évidence. Virginie, elle, est née au cinéma français d’auteur avec la quarantaine et je pense que c’était vraiment un personnage qui était lié à cet âge-là. Et puis ça faisait longtemps qu’on voulait travailler ensemble.
La judéité ponctue votre film. Était aussi pour le rendre davantage personnel ?
Oui, je suis la meilleure spécialiste de ma propre expérience. Il y avait un défi de mise en scène qui était sur la temporalité. J’avais très peur sur une chronique sans objet et en même temps, il fallait raconter cette année là, qui était une année très lourde dans la vie d’une femme qui était une année dans laquelle elle va refermer un chapitre, le fameux chapitre de la maternité possible. Et ça, il fallait le marquer par quelque chose de très simple. Donc c’était une année scolaire comme elle est prof et une année ritualisée et du fait qu’elle est juive, plutôt que de faire un nouvel an qu’on a déjà vu et revu, j’ai réuni la famille autour de deux scènes de liturgie de Yom Kippour.
Le personnage de Rachel apparaît très épanouie : elle exerce un métier avec passion et engagement, entretient de très bonnes relations avec sa famille, ses amis et endosse son rôle de belle mère avec enthousiasme. Était-ce important de la définir aussi accomplie ?
Le fait d’être belle-mère est un sujet qui a toujours été raconté dans l’angle de la frustration, de la rivalité, de la passion triste. J’avais envie que Rachel soit quelqu’un de très épanoui. Il me fallait construire un personnage à qui il ne manquerait rien et, ça passe par un quelqu’un aussi moralement digne d’être aimé. Et ça me plaisait aussi beaucoup de raconter une vraie héroïne, j’en ai marre des antihéros. Je voulais raconter comment et combien ce rôle place les hommes et les femmes dans une situation morale qui nécessite d’eux d’être noble. J’avais envie de faire un film radical, dans la douceur radicale, dans la noblesse, dans la bonté des personnages. Rachel est ainsi, mais les autres aussi sont bons et sans faille.
Il y a cette phrase que Rachel dit à Alice «on va arrêter de toujours s’excuser pour les hommes», qui fait aussi émerger une certaine sororité entre les deux, une situation que vous avez peut-être idéalisée ?
Là, c’était un programme presque politique ou esthétique de montrer des femmes qui pouvaient partager un homme, partager un enfant sans qu’il y ait le moindre conflit ou rivalité entre elles, mais plutôt des femmes qui se sont fait du mal sans le vouloir. C’est comme ça qu’un grand nombre de gens mènent leur vie autour de moi et moi, la mienne. Et ce n’est pas représenté au cinéma car c’est plus dur d’émouvoir avec des sentiments nobles qu’avec des situations de tension.
Par rapport à la technique, pourquoi avoir choisi d’utiliser le procédé de fermeture à l’iris entre chaque épisode ?
Ce procédé m’a permis de chapitrer le film. J’aurai aussi pu choisir d’insérer des écrans noirs mais je trouve que c’est une manière plus poétique et mélodique de faire passer le temps. J’avais envie que cela marque des fins et débuts de saison, et c’est un argument poétique dans le film qui était déjà dans l’écriture.
Le fait que Rachel prenne son élève Dylan sous son aile, était-ce pour renforcer son côté empathique et maternel ?
Cet aspect fait aussi partie de l’identification très forte que j’ai avec ce personnage. J’ai été enseignante avant d’être réalisatrice. C’est donc un métier que je connaissais bien et aussi qui m’avait structurée sur la question de la transmission. J’étais ainsi traversée de ces expériences avec des élèves. Ce manteau acheté à Dylan, je l’ai vraiment acheté à un élève dans le besoin et j’étais très émue en repensant à cet enfant.
Quand je me suis replongée dans mes souvenirs lors de l’écriture de ce film, en pensant que je n’aurai jamais d’enfant (entre temps Rebecca Zlotowski est devenue mère ndlr) et je me demandais ce qui allait rester de moi en vivant cette situation d’être belle mère que je vivais pour la deuxième fois. Je pensais que ça allait être mon destin d’avoir ce rôle. Donc il allait falloir que je sois vraiment solide pour ne pas en souffrir. C’est ainsi que j’ai voulu m’adresser un film qui allait m’aider et me dire que ça va aller quand même. Je me suis donc plongée dans les moments de transmission que j’avais connus. Parce que « Les enfants des autres » est avant tout un film sur la transmission.
Certaines scènes tournées dans des bistrots ou dans les rues de Paris à l’atmosphère souvent automnale rappellent les films de Sautet, était-ce une inspiration ?
Bien sûr, je suis fan des œuvres de Sautet et je m’en inspire notamment dans le fait de filmer à travers les vitres des bistrots. Dans « Une histoire simple », il y a cette scène entre Romy et Bruno Cremer qui m’a guidée, je suis très imprégnée de ce film. Et je trouve qu’il y a quelque chose de Romy Schneider chez Virginie Efira : cette espèce de fragilité intelligente, une vulnérabilité sans pathos, et en même temps très sensible.
J’ai aussi beaucoup pensé à « Vincent, François, Paul et les autres » alors que votre héroïne se retrouve seule du fait de sa situation de vie, comment expliquer cette contradiction d’une héroïne liée aux autres malgré tout ?
Cela vient de l’expérience collective. Mais si j’ai eu du plaisir à la filmer en ville au milieu du monde, alors que c’était compliqué de filmer dans Paris car on portait des masques à ce moment là et ça complexifiait les focales avec beaucoup de gens derrière ; mais c’était nécessaire parce que j’avais besoin de l’inscrire dans le collectif. J’avais envie qu’elle soit dans la ville. Ce qui me manquait quand je n’avais pas d’enfant, c’était d’imaginer que j’étais entourée de gens qui en avaient et que je ne partageais pas l’expérience avec eux, que je n’y avais pas accès. J’ai voulu combattre cette idée et réparer mon héroïne de ça.
Pour clore l’interview, pouvez-vous nous dire quelques mots de votre prochain film ?
En ce moment, j’écris des films pour d’autres, j’ai aussi un projet de série. En ce qui concerne mon prochain film en tant que réalisatrice, j’aimerais que ce soit un thriller érotique. J’ai envie de faire du genre.