Interview d’Alexe Poukine par Ondine Perier
Peux-tu nous pitcher ton film ?
C’est l’histoire d’une femme qui, confrontée à une urgence — trouver un logement —, va emprunter un chemin inattendu et peu conventionnel pour y parvenir.
Pourquoi avoir choisi de situer ton récit dans l’univers du BDSM ?
J’ai un ami qui est à la fois assistant social et dominateur. J’ai toujours trouvé très belle la manière dont il “soigne” les gens, à sa façon. C’est ce mélange de douleur et de soin, de contrôle et d’abandon, qui m’a donné envie d’aborder la question de la souffrance sous un angle singulier.
Kika intériorise énormément sa douleur. On la découvre dans un moment de deuil, mais tu gardes beaucoup de mystère autour d’elle, sans tout expliquer. Pourquoi ce choix ?
Oui, il y a beaucoup d’ellipses. Je voulais qu’il y ait plusieurs niveaux de lecture, que chacun y voie ce qu’il veut. C’est aussi un film sur la maternité, sur la transmission, sur la difficulté d’être mère et fille à la fois. J’avais envie de montrer une maternité complexe, parfois violente, loin du cliché de la mère comblée et aliénée par son bonheur.
Justement, la relation entre Kika et sa fille semble à la fois vitale et pesante.
C’est exactement ça. Sa fille est à la fois son pilier et son fardeau. Elle lui donne la force d’avancer, mais c’est aussi une responsabilité écrasante. La maternité, c’est ambigu, c’est brut, parfois sauvage. J’avais envie que le film l’assume pleinement.
Manon Clavel est remarquable dans le rôle principal. Avais-tu pensé à elle dès l’écriture ?
Pas du tout ! J’avais d’abord envisagé de jouer le rôle moi-même. Mais ma directrice de casting, Yuna Duperret, m’a dit : “Vous ne serez pas trop de deux pour porter ce film.” Elle avait raison (rires). Nous avons vu énormément de comédiennes pendant deux ans. Au départ, je trouvais Manon trop belle, trop jeune. Puis, dès le casting, ça a été une évidence. Elle dégage une force tranquille et une profondeur incroyables.
Et la jeune actrice qui joue sa fille ?
Le casting a été long et compliqué. À une semaine du tournage, j’ai dû tout recommencer, car certaines mères ont retiré leurs filles après avoir lu le scénario. C’est un film qui aborde la sexualité de manière frontale, et beaucoup de parents voulaient que leurs enfants puissent le voir, ce qui n’était pas possible avec une interdiction probable aux moins de 16 ans. Finalement, j’ai trouvé la petite actrice idéale, d’un naturel bouleversant.
Le film explore aussi une forme de sororité inattendue, dans cette “maison de discrétion”. Peux-tu en parler ?
Oui, ce n’est pas une maison close, mais un hôtel où l’on paie les chambres à l’heure. Beaucoup de couples adultères y vont. Nous avons tourné dans un vrai lieu de ce type, en activité ! À un moment, un vrai client est même entré pendant une prise. Ce qui m’intéressait, c’est la rencontre entre des femmes venues de milieux très différents, qui se découvrent autrement, dans un espace où elles n’auraient jamais imaginé se retrouver.
Tu abordes le travail du sexe sans jugement.
Oui, j’ai voulu éviter les clichés. Je crois que beaucoup de femmes se sont déjà demandé, même très fugitivement, si elles pourraient offrir des services sexuels. Cela ne veut pas dire qu’elles le feront, mais cette idée traverse l’imaginaire collectif. Kika parle de redécouverte de soi, de désirs cachés et de liberté intérieure.
Les dialogues sont d’une justesse rare, parfois drôles, souvent percutants.
Merci ! Le film est très écrit, surtout parce que c’est aussi une comédie. Le rythme des échanges était essentiel. Mais j’ai gardé beaucoup d’improvisations, notamment de travailleuses du sexe non professionnelles qui jouent dans le film. Leur parole est à la fois crue, drôle et vivante — c’est ce mélange que je voulais capter.
Si tu devais donner trois adjectifs pour donner envie d’aller voir KIKA ?
Je dirais que c’est un film drôle, émouvant et énergisant.