Comment ne pas s’attacher à Tori et Lokita, ces deux jeunes personnes de 11 et 18 ans, unis face aux adultes malveillants qui rôdent autour d’eux et leur promettent une vie meilleure en contrepartie de tâches illégales aux conditions désastreuses. Les deux jeunes acteurs non-professionnels, Joely Mbundu et Pablo Schils, sont sidérants de justesse et dégagent une grande charge émotionnelle. La mise en scène est limpide. Encore un coup de maître des frères belges.
Tori et Lokita (edition française) | Critique
Les frères Dardenne signent un thriller social sur les conditions d'exil éprouvantes de deux mineurs venus seuls d'Afrique en Belgique.
Tori et Lokita | Synopsis
Aujourd’hui en Belgique, un jeune garçon et une adolescente venus seuls d’Afrique opposent leur invincible amitié aux difficiles conditions de leur exil.
Tori et Lokita | Les voix
«Dans ‹Tori et Lokita›, le potentiel pathos victimaire des mésaventures de deux enfants migrants est neutralisé par la rigueur implacable de la mise en scène. Du grand Dardenne.» – Transfuge | «Un sourd et déchirant témoignage de souffrance et d’injustice, un drame sur lequel il n’y a quelque part rien à penser, rien à déduire, à part la conscience qu’il a lieu et qu’il serait indécent de ne pas le regarder.» – Les Inrockuptibles | «Les frères Dardenne parviennent à frapper encore avec ce récit épuré et prenant de deux jeunes migrants. L’une des grandes réussites de Cannes 2022.» – àVoir-àLire
Jean-Pierre et Luc Dardenne sont des frères réalisateurs belges. Jean-Pierre est né en 1951 à Engis et Luc en 1954 aux Awirs. Représentants d’un cinéma militant et réaliste, les frères Dardenne ont su, grâce à une filmographie cohérente, imposer leur style mais aussi leurs revendications. Ils sont aujourd’hui, avec Ken Loach et Mike Leigh les représentants d’un cinéma social renouvelé. Ils comptent parmi les metteurs en scène les plus primés de l’histoire du festival de Cannes : Palme d’Or pour «Rosetta» en 1999 et pour «L’enfant» en 2005, Prix du scénario pour «Le silence de Lorna» et le Prix du 75e festival de Cannes pour «Tori et Lokita» en 2022.
Critique par Ondine Perier
L’amitié comme rempart à un environnement hostile et malveillant
Tori et Lokita sont indissociables : ils prétendent être frère et sœur devant les services sociaux pour que Lokita qui approche les 18 ans puisse être régularisée mais son discours ne tient pas la route. Dans leur chambre du centre d’accueil à Liège, Tori, son «frère» de 11 ans a beau lui faire répéter les détails de son enfance pour qu’elle se les approprie et les restitue lors de ses entretiens, Lokita peine à tout retenir. Pour doubler leur chance, les deux jeunes exilés vendent de la drogue pour le compte d’un cuisinier sans scrupule, Betim. Leurs gains devraient permettre à Lokita, en plus d’envoyer de l’argent à sa mère, de se procurer des faux papiers. Car Tori et Lokita ont un rêve commun : que Lokita devienne aide ménagère et qu’ils puissent vivre ensemble en Belgique. Leur amitié est caractérisée avec beaucoup de délicatesse par des gestes d’affection, des mots attentionnés et toujours bienveillants. Le contraste entre la douceur qui émane des scènes où ils sont ensemble et l’hostilité et la souffrance dues à l’extérieur saisit.
L’art des frères Dardenne pour disséquer les liens
Ces deux jeunes protagonistes ne sont heureux que lorsqu’ils sont réunis. «On s’en est toujours sortis en étant ensemble» dit Lokita à Tori, mentionnant ainsi leur chemin d’exil du Bénin à la Belgique en passant par l’Italie où leur bateau a accosté. C’est d’ailleurs en Italie qu’ils ont appris la comptine qu’ils fredonnent en chœur « a la Feria dell Est » dans le restaurant où travaille Betim, pour lancer le karaoké. Cette chanson entêtante illustre leur lien puissant et sa vertu réconfortante, tout comme les attentions récurrentes qu’ils ont l’un envers l’autre : Lokita se soucie de l’avenir de Tori et Tori s’inquiète des crises d’asthme récurrentes de Lokita. Ils comptent l’un sur l’autre, de manière encore plus forte et viscérale que l’extérieur n’est que danger.
Le cinéma social des frères Dardenne
«Tori et Lokita» est un thriller social sec et haletant des frères Dardenne. La caméra suit au plus près les deux jeunes héros, toujours en mouvement. La mise en scène épurée, le scénario implacable, le jeu remarquable des deux comédiens amateurs, la durée courte du métrage participent à l’effet d’uppercut ressenti au bout de ces 80 minutes intenses et éprouvantes. On peut reprocher aux frères Dardenne d’avoir livré un film âpre et dépourvu d’espoir, c’est surtout un plaidoyer sur l’amitié entre deux jeunes exilés au courage exemplaire face aux êtres immoraux qui les humilient et les exploitent impunément. Les frères Dardenne signent à nouveau un film bouleversant à l’efficacité redoutable qui résonne longtemps après l’avoir vu.