«Close» raconte l’histoire d’une amitié entre deux adolescents Léo et Rémi, bientôt brisée par une terrible tragédie. Le film a été auréolé du Grand Prix au dernier Festival de Cannes. Ondine Perier a eu la chance de rencontrer ce jeune cinéaste talentueux lors de sa venue au ZFF et de recueillir ses éclairages sur son magnifique film où l’émotion saisit dès les premières secondes et ne fait que s’intensifier.
À propos de la genèse de «Close», je savais que je voulais faire quelque chose sur la masculinité.
Quatre ans après la sortie de son premier long métrage «Girl» sur le sujet de la transidentité, le réalisateur belge Lukas Dhont revient avec «Close».
Biographie | Lukas Dhont
Lukas Dhont, né le 14 mai 1991 à Gand, est un réalisateur et scénariste belge. Diplômé en arts audiovisuels de l’Académie royale des beaux-arts de Gand, Lukas Dhont commence sa carrière en travaillant comme directeur de la photographie et monteur pour Huid van Glas et réalise la même année deux courts métrages, «Corps perdu» et «De Lucht in mijn Keel», puis, en 2014 «L’infini». La même année son premier long métrage, «Girl», qui développe le thème de la danse et de la transidentité connait un succès international et fait partie de la sélection Un Certain Regard du Festival de Cannes 2018 où il reçoit de la Caméra d’or du meilleur premier film ainsi que la Queer Palm. En 2021, il réalise «Close», un film sur l’amitié et la responsabilité qui met en scène l’amitié de deux adolescents de treize ans qu’un événement impensable sépare. Émilie Dequenne et Léa Drucker figurent au casting et le film remporte le Grand Prix du Festival de Cannes 2022 ex-æquo avec «Des étoiles à midi» de la française Claire Denis.
Vous étiez au Festival de Cannes il y a quatre ans, pour «Girl», qui a reçu la Caméra d’or ; cette année, vous avez présenté «Close» qui a reçu le Grand Prix à Cannes. Quel a été le point de départ de «Close» ?
On a voyagé presque deux ans avec «Girl», ensuite il a fallu retourner à la page blanche et c’était une sensation assez étrange parce que la travail sur «Girl» avait commencé quand j’avais 18 ans, quand j’ai lu un article sur ce sujet et j’ai le sentiment que l’écriture de ce film était très corporelle, très en relation avec un désir profond et qui devait sortir du corps. Et puis quand je me suis retrouvé devant cette page blanche pour «Close», j’avais le sentiment d’être trop dans ma tête, d’être trop dans les attentes, dans le doute et le doute est pour moi quelque chose de très important dans mon processus créatif, mais pas quand tu doutes de tout ; et j’avais le sentiment de douter de tout. Mais je savais que je voulais faire quelque chose sur la masculinité. Ensuite est venue cette période de pandémie où on était déconnectés les uns des autres, confinés. Cela m’a fait vraiment réfléchir sur l’importance de déconnexion en fait, de nos relations intimes, de l’amitié. Pour moi, l’amitié, c’est un peu un thème complexe parce que quand j’étais enfant soit un garçon très efféminé, j’avais le sentiment de n’appartenir ni au groupe de filles ni au groupe de garçons. J’ai commencé dans l’adolescence à avoir peur des rapprochements intimes avec d’autres garçons, parce que du fait de mon côté efféminé, quand j’étais trop proche d’un autre garçon, immédiatement notre relation était perçue comme une relation amoureuse. Ce qui a pu bloquer l’autre, mais aussi parfois moi-même ; j’ai alors pris mes distances vis-à-vis de quelqu’un qui était très important pour moi.
Cela vous est donc arrivé d’être dans la peau de Leo ?
Oui, vraiment. Et ça a été une expérience très spécifique que j’ai eue et qui m’a marqué. Après, je suis tombé sur un livre d’une psychologue américaine Niobe Way qui s’intitule «Deep Secrets» : Niobe Way a suivi 150 garçons américains entre l’âge de 13 ans et 18 ans. À 13 ans, elle leur a demandé de parler de leur amitié masculine et les jeunes garçons parlent de leurs amis comme des histoires d’amour. C’est la personne la plus importante pour eux avec qui ils partagent tous leurs secrets. C’est très intime. Nous ne sommes pas tellement habitués dans le monde adulte, à cette imagerie d’hommes d’amitiés sensuelles entre garçons. Bref, à l’âge de 15, 16, 17, 18 ans, la psychologue repose la question aux mêmes garçons et elle note que les garçons n’osent plus exprimer leur amour l’un pour l’autre. Elle voit comment les normes, les codes, la masculinité commencent à peser sur eux. Et là, j’ai vu que mon expérience personnelle était beaucoup plus large et vraiment universelle. Et j’avais envie de montrer ou de parler de ça, de cette rupture, mais aussi créer des images d’une amitié sensuelle.
Vous filmez l’adolescence avec beaucoup d’empathie et de sensibilité. Pour vous, elle apparaît comme une étape cruciale dans la vie, pourquoi cette fascination pour cette période ?
Pour moi, il y a une vraie rupture entre enfance et adolescence. En enfance, on est encore tellement dans notre regard à nous-mêmes. La relation avec l’intérieur de nous est encore tellement proche et quand on entre en cycle secondaire quand l’adolescence arrive, nous sommes confrontés pour la première fois avec une société plus large, avec des normes, des codes, des «box». Et c’est là où on commence à devenir acteur de sa vie parce qu’on a envie d’appartenir à un groupe, on a envie de faire partie de cette société. Donc, oui, il y a pour moi ce moment très précis entre l’enfance et l’adolescence où on change, c’est un moment transformatif.
La recherche d’identité par Léo, par son adhésion au club de hockey, le fait de parler constamment de foot avec ce nouveau groupe des grandes gueules du collège, cela paraît davantage guidé par une volonté de se faire accepter par le groupe que par une envie sincère ?
Je ne sais pas si ce n’est pas sincère, c’est juste que des fois, on donne plus de valeur à un groupe qu’à une seule personne, et un nouvel environnement peut changer la direction de notre chemin. Donc je ne sais pas si ce n’est pas sincère, mais en tout cas, ce que je voulais montrer, c’est que Leo a envie d’appartenir à ce monde stéréotypé, viril, masculin. Comme beaucoup de jeunes garçons, j’avais envie, de par ce désir, ces codes, de parler d’une masculinité imprimée sur ces jeunes garçons.
Rémi paraît plus sincère dans son attitude qui n’est pas altérée par les remarques des autres…
Oui mais il est la victime lui-aussi. Il a certes un autre rapport avec ça, mais c’est quelqu’un dôté d’une fragilité énorme et il n’y a pas toujours la place pour la fragilité dans cette société, pour la tendresse.
La famille dans le film apparaît vraiment comme un refuge de bienveillance, qui contraste avec la cour du collège, lieu de menaces et de danger. Était-ce votre intention de souligner ce contraste ?
En fait j’avais envie de parler d’une société plus large et cette cour de récréation était pour moi le moyen de le faire parce que c’est ici pour ces jeunes confrontés pour la première fois à la hiérarchie, aux groupes, aux normes de la sexualité, aux regards des autres sur leur amitié sensuelle que je pouvais élargir le propos ; et donc à côté de ça je ne voyais pas vraiment l’intérêt de montrer des parents qui ne sont pas bienveillants. J’essaye toujours de montrer la bienveillance dans tous les personnages. C’était donc important pour moi de créer un environnement familial bienveillant même si les enfants ne parviennent pas toujours à exprimer leurs sentiments à leurs parents.
Le journal «Le Monde» a écrit sur votre film : «la rencontre entre Xavier Dolan et les frères Dardenne», dans quelle mesure est-ce que le travail de ces cinéastes vous a inspiré ?
Je les adore tous les trois. D’abord les frères Dardenne utilisent leur caméra comme un chorégraphe et moi je me sens proche de cette idée de chorégraphie, puisque j’ai voulu être danseur avant d’être réalisateur. Après Xavier Dolan c’est quelqu’un qui bouge les lignes qui casse les codes qui parle de genre d’une manière hyper intéressante et qui a des visuels aussi très forts.
Tout est d’ailleurs merveilleusement filmé dans «Close», les champs de fleurs, la nature, les saisons. Le film est baigné de lumière, certains scènes dans les champs font penser à des tableaux, la peinture est-elle aussi une inspiration pour certains de vos plans ?
Bien sûr, moi je suis un grand fan de David Hockney. D’ailleurs le premier titre pour «Close» était basé sur une de ses œuvres intitulée «We Two Boys Together Clinging».