Alice et Louis, la petite cinquantaine ne se parlent plus depuis 20 ans. Leur mésentente provient de la haine que voue Alice à son frère, l‘origine de ce sentiment étant obscure. Un accident de leurs parents va les amener à se confronter à nouveau, et à réfléchir sur les causes de cette haine.
Frère et Sœur (edition française)
Frère et Sœur | Synopsis
Alice et Louis sont frère et sœur, ils ne se sont pas parlés depuis des années ; Alice connaît une carrière brillante en tant qu’actrice, Louis est écrivain, la mort prématurée de son fils l’a conduit à vivre dans une ferme isolée de tout avec sa femme Faunia. Un terrible accident frappe leurs parents qui se retrouvent à l’hôpital. Une occasion pour eux de s’affronter et tenter de réparer cette haine dont la cause reste mystérieuse.
Critique par Ondine Perier
Pas de doute, nous sommes bien chez Desplechin : une famille charismatique et conflictuelle, des origines roubaisiennes, des amis ou connaissances fascinés par ce clan, des protagonistes œuvrant dans des milieux artistiques, un jeu de flashbacks, l’utilisation régulière de la voix-off et une lumière qui se fraie un passage tant bien que mal dans cette histoire sombre ponctuée de deuils et chargée de non-dits et de frustration.
Famille, je vous hais
Un soir d’hiver lors d’une veillée mortuaire, dans leur appartement, Louis et sa femme Faunia pleurent leur garçon de 6 ans qui vient de mourir. Borgman, ex-ami et beau-frère de Louis, fait son entrée et se fait rabrouer sur le champ par Louis qui entre dans une grande colère, amplifiée à la vue de sa sœur restée sur le pas de la porte. Louis lui ordonne de quitter l’immeuble sans quoi il appellera la police. Le ton est donné.
Suite à une ellipse de quelques années, un couple de gens âgés traverse une forêt en voiture. En voulant porter secours à une jeune fille dont le véhicule s’est encastré contre un arbre, ils se font eux-mêmes percutés par un camion et se retrouvent à l’hôpital dans un état critique, chacun placé dans des services différents : la mère est dans le coma, le père alité et entubé. Au même moment, Alice, actrice, répète et joue à Lille le premier rôle d’une pièce à succès. Elle se rend immédiatement au chevet de ses parents à l’annonce de la terrible nouvelle. L’ami fidèle de Louis, Zwy, tenu au courant de l’accident part le chercher. Ce dernier, après la mort de son fils, s’est replié avec sa femme dans une ferme vers Toulouse, perdue et accessible uniquement à cheval. Alice et Louis alternent leur visite à l’hôpital, Alice ayant exigé de ne jamais se trouver en compagnie de son frère. Louis retrouve son appartement d’enfance et Alice enchaîne les représentations, dans un état de fébrilité croissant. On sent chez Alice une grande souffrance, Louis paraît plus solide, Fidel leur jeune frère, très affecté, n’a de cesse de faire le lien entre les deux. Le spectateur remonte le fil de leur relation et de sa détérioration par le biais des confidences d’Alice à une admiratrice et des appels de Louis à Faunia.
Le désespoir selon Desplechin
Le désespoir d’Alice s’explique par l’accident des parents certes mais aussi la mort prématurée d’un neveu qu’elle n’a jamais cherché à rencontrer et la vengeance de son frère écrivain à travers ses livres à charge contre elle. Alice boit pour tenir, elle en vient à prendre des anxiolytiques ; Louis privilégie l’opium. Si Louis est désespéré lui aussi de la situation, son état émotionnel paraît plus stable. Il est plus accessible, plus compréhensible aussi : son chagrin, sa vengeance, son incompréhension mais aussi sa jalousie envers sa sœur, adorée par ses parents. Il est moins évident de cerner les griefs d’Alice envers son frère, notamment sa jalousie de son succès en tant qu’écrivain, compte tenu de sa brillante carrière d’actrice. L’amour incestueux serait une piste : trop d’amour selon Desplechin entraînerait inéluctablement le sentiment de haine et la séparation ultime recours pour aboutir à leur épanouissement respectif.
L’obscurité du théâtre, des rues grises et pluvieuses de Lille et Roubaix, de l’appartement familial témoignent d’une ambiance chargée. Les dialogues lyriques sont impeccablement incarnés par l’ensemble des acteurs.trices, Marion Cotillard en tête, qui endosse ce rôle de sœur fragile et haineuse avec une subtilité impressionnante. Les rôles masculins sont également endossés par un casting de choix : Melvil Poupaud, Patrick Timsit et Benjamin Siskou.
Desplechin se nourrit ici de ses précédents films : on retrouve la haine familiale, le bannissement d’un frère par sa sœur et la responsabilité des parents déjà présents dans « Un conte de Noël » (2008) ; la démence et le recours à la psychiatrie et aux médicaments dans « Rois et Reine » (2004). C’est assurément dans ces rapports compliqués et toxiques d’une famille que le réalisateur puise sa plus grande inspiration.